LA FIGURE HUMAINE EN ANIMATION DE SYNTHESE

Les hommes de synthèse


Nous sommes tous à des degrés divers, parties intégrantes d'un mouvement général qu'il est pratiquement impossible de circonscrire, de comprendre et de faire comprendre, au niveau individuel, dans son intégralité : ses développements sont variés et complexes. Les événements qui en constituent le clefs, disséminés et récents.

Mais à la lumière d'une recherche, pardon d'avance, spécialisée, il est néanmoins possible de la décrire et, dans la mesure du possible, de la frotter à tout ce que l'expérience peut fournir de données intéressantes visant à recouper les arguments déjà avancés, ci et là. Il est important de rappeler que toutes les synthèses, même si elles s'en défendent plus ou moins, sont provisoires, particulièrement dans un domaine qui est parmi ceux qui évoluent le plus vite. L'informatique, comme lieu d'épanchement de la créativité technologique, peut se targuer 'avoir réuni pas mal des initiatives les plus innovantes, et d'avoir constitué un des phénomènes les plus marquants de la dernière décennie. Impossible de tout brasser. Rapidité du mouvement. Accélération du défilement du temps. Etrange impuissance de certains hommes face à cette citadelle, et dont le seul recours est d'en oublier la grande puissance afin de lui substituer la leur.

Par contre, possible de comprendre plus qu'il n'est dit et de lire entre les pas de programme. Le long des circuits imprimés.

Possible d'analyser ce qui se passe sous des angles différents : cette thèse ne sera pas un arrêt sur image et ne saurait être être une pause sans origine et sans perspective. Mais éternellement réchauffer des plats surgelés serait une forme de résistance à la nouveauté qu'il est difficile de soutenir plus longtemps. On arrête pas le temps. On revient encore moins en arrière. Mode ou pas mode.



Les fifties, les sixties, puis les seventies et à présent les eighties et les nineties. Les vogues voudraient repasser l'ordinaire des plats indéfiniment. Si vivrre les nineties, c'est attendre un hypothètique engouement des foules vingt ans plus tard, inscrivons nous tout de suite pour 2010...

1991 (c'était maintenant)... Pendant que les rebelles luttent toujours aux marches de l'empire, la civilisation est en train de négocier un des tournants les plus importants de toute son histoire. Un bouleversement sans précédent qui va remettre en cause toutes les données d son organisation. Et comme toutes les périodes de refonte, charnières, cruciales de l'histoire, celle-ci se manifeste de manière radicale, quoique pas toujours évidente à identifier, puisque nous sommes, nous mêmes et tour à tour, les acteurs et les figurants de ce grand remue ménage. Les transformations touchent à peu près tous les domaines, mais u centre de cette évolution rapide se trouvent tous ceux dont le travail intégre une composante visuelle. Et nous passons d'une civilisation de l'écriture à une civilisation de l'image. Il est donc bien normal que cela grince aux jointures....

Comment placer une distance suffisante entre soi, la caméra et certaines vérités, étriquées ou pas, qui nous perturbent le soir au fond des draps ? D'un modèle il est ultérieurement possible de décliner toutes les empreintes. La mort et la transformation des systèmes, elle même change de statut, trop souvent considérée dans une approche exagérément matérialiste, comme une perte de substance. Ce qu'elle est loin d'être uniquement. Montgommery Cliff souffle et soufflera toujours dans sa trompette un peu perdu au milieu du pacifique. From here to eternity.

La disparition d'un modèle semble le faire entrer dans la légende d'une manière plus complète et plus consentie de la part de ceux qui décident de ce qu'il est bon d'accepter ou de rejeter. La perfection divine. En abcisses et en ordonnées. La "divine" ne s'est-elle pas elle même symboliquement faite mourir ? Pour que soient acceptés cette entrée dans leurs Olympes personnels. Sa mort, la fin de sa vie physique, n'a fait que confirmer sa déification. Celle de son effacement et l'ignorance de son destin réel par certains, n'avait que plus fait grandir...



Mais elle est l'exception. Cette pirouette de la grande élégance de ceux qui opposent le silence comme seule forme volontaire de réponse. Et dieu sait s'il est malheureusement nécessaire à beaucoup d'autres de finir leurs jours pour être enfin reconnus. Pour que soit balayé ce que la mauvaise volonté et l'orgueil avaient pu induire de distance. Ne jamais réellement laisser paraître et de manière unanime. Ne pas se livrer pour ne pas se faire prendre.

Pourquoi les individus abandonnent-ils souvent si facilement une part centrale de ce qui fait leur substance en fait en particulier en tant qu'acteurs numériques ? Ne sont ce pas les images qui en dénaturent la qualité ? Images individuelles, hommes-image, composés qui sont des synthèses de leur époque, comme les fruits d'un gros ordinateur, d'un monde euphorique ou macabre,  qui enfante de petits reptiles faits pour courir toujours dans nos inconscients au département collectivités.  Image d'individus vides et désormais stériles, susceptibles de devenir vrais ou faux suivant que l'impulsion initiale qui en détermine la nature est suffisamment ou pas nourrie de l'expérience d'une vie foisonnante. Doivent-ils, comme ces spectres que les rêves même éveillés ne permettent pas de toucher, échapper à toute espèce de prise, alors qu'il est possible d'imaginer des manières de coupler virtuel et réel, pour définir à la frontière entre les deux mondes, des points de passage non obligés qui les fassent communiquer. Au moment où ces lignes sont écrites ce n'est toujours pas le cas alors que le perspective s'en rapproche et sera un jour confirmée.



L'importance du simple fait que nous éprouvions la plupart du temps le besoin de conserver des images qui événements qui nous marquent trahit bien une partie non négligeable du phénomène qui nous touche actuellement et ce à l'échelle planétaire. Ce n'est pas vraiment l'idée d'une vie, sa direction, son idéal qui compte ou qui va dominer le souvenir que l'on en gardera. C'est ce reflet sans profondeur, l'air mélancolique de James Dean, sanctifé, étalonné, épinglé, pour que ne subsiste plus que l'illusion d'un rêve et la réalité d'un cliché.

Que le phénomène, selon certains, soit effrayant est un symptôme. Un signe des temps que nous avons l'honneur et l'avantage d'habiter. De cette transition, ceux qui écrivent (feignons de croire qu'ils n'utilisent que les mots ce qui est déjà énorme) résistent. Les plumes crissent le long des pages et c'est une bonne chose qu'elle opposent des forces de frottement car cela crée de la chaleur. C'est du salut de leur âme dont il est question. Et de la notre aussi, d'une certaine manière...  Nous n'avons pas besoin de nous comporter comme des uniques créateurs d'images. Nous savons que le monde peut devenir très vie absurde et il ne serait pas très subtil de le fausser davantage. D'où la nécessité d'une claire conscience de l'humanité que l'on place en ces mains et du degré de nécessité des choses que l'on exprime. Ajoutons y un peu, voire beaucoup de notre vérité. Peu importe que les moyens utilisés soient des illusions, des images holographiques ou que nous peignons en trompe-l'œil, l'essentiel est que nous nous impliquions dans ce que nous sommes et faisons.
Et la grande charnière plie. La porte oscille entre les deux mondes et nous savons pertinemment que nous sommes tous au milieu du passage. Quelque part en train de boire la tasse ou de lancer des bouées. Faut-il avoir peur de ce danger pour autant ? La peur traduit souvent une volonté de ne plus vouloir et de ne pas chercher à savoir plus. De s'asseoir sur le trottoir d'à côté...



Or s'arrêter d'avancer, de nourrir son esprit et donc le monde qui se trouve l'intérieur, c'est régresser. C'est tenter de ne pas accroître sa douleur mais c'est aussi ne pas se donner les moyens de se reconstruire ou de remodeler cette terre comme l'animateur inscrit dans la chair tiède de la pâte à modeler une vision de soi et des autres. Ce serait ne pas inverser le sens de la marche alors qu'elle a tendance à donner dans la retraite anticipée. Cette forme de sécurisation telle que peut en produire la conviction en des choses que l'on devine erronées ou incomplètes, mais que l'on préfère ne pas transformer, serait la promesse d'une  sclérose à venir.

Un monde sans idées.

Transformer le monde, c'est se transformer. C'est peut être ce qui est si douloureux. Pour ceux qui se croyant définitivement adaptés ne font plus l'effort d'adapter ce qui cloche.

C'est justement ce qui peut motiver des attitudes de défiance à l'égard de ce qui n'a pas été dicté par un amour consenti des autres et du reste. En particulier des mondes virtuels qu'ils n'ont pas été préparés à intégrer dans leurs schèmes de réflexion et dans lesquels ils refusent de se projeter alors que les instruments de cette maîtrise leur sont devenus d'une certaine manière accessibles. Les images de synthèse ne sont pas extraterrestres, elles sont simplement immatérielles. Différentes.

Comme l'idée d'un verre d'eau ou d'une boite de Baked Beans. Elles contiennent en germe les symboles irisés d'une diffraction du réel, les prémisses d'une conquête ou d'une désagrégation à venir. Ce qui nous retient sur terre.

Question d'équilibre. Vertige ou reprise en main d'aspects jusque là négligés de nos possibilités effectives ou pas de nous mouvoir dans les mondes virtuels.

Quand il n'y a plus d'espace, il faut le réinventer ou en imaginer un totalement différent. Les images de synthèse pourraient bien être une des ces chances.

Une opportunité de retour illimité de l'aventure.

Un petit homme vide se balade sur l'écran, titube, se reprend. Aspect mécanique de sa démarche. Puis, au fur et à mesure que le temps s'écoule, il commence à se transformer. Le pantin prend des allures humaines... Il se met à ressembler  à autre chose que ces dessins, ces tout premiers dessins que font les enfants quand ils apprennent à tenir un crayon. Les petits bonhommes deviennent des héros et évoluent vers plus de nuances. Clones ou répliquants destinés à être infidèles à ce qui ne leur ressemble pas.  Credo actuel. Mais histoire sans fin et donc à suivre.

Il nous faut passer sur ce qui est soit connu soit extérieur à ce sujet mais un seul exemple suffira à le confirmer. La première guerre du Golfe qui s'est soldée par la victoire des alliés a surtout consacré la suprématie de la chaîne cablée CNN et des organisateurs de l'information planifiée, éditée et diffusée, jusqu'à vingt huit jours à l'avance.

Mais tout autour de nous des doubles se multiplient. Des alter ego, des espèces de répliquants, d'abord pantin humanoïdes qui peu à peu se transforment, comme mu par une sorte de volonté étrange. Apparences grossières. Mouvements un peu maladroits. Qui sont ces envahisseurs ? De quelle planète viennent-ils ? Va t-il être possible de parler le même langage ?  Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Que se passe t-il ?



Ne sommes nous pas des hommes, des vrais ?

Tout change mais rien ne change. Reléguant au magasin des accessoires les certitudes qui finalement entretiennent ce que nous trimballons d'erreurs et d'archaïsmes même si certains possèdent ce vieux fond de vérité qui a fait qu'elles ont été acceptées. Il est nécessaire de comprendre ce qui se passe en général afin de décrypter des réalités plus restreintes.

Ce qui nous arrive est un grand chambardement. Nous sommes à l'orée d'un monde qui sera résolument différent ou qui fera mine d'avoir suffisamment dirigé son destin afin de l'entériner sans trop de scrupules. Le hasard est incompréhensible mais nous pouvons feindre d'en être les instigateurs disait Cocteau. Et donc de prendre en compte ce qu'il n'est pas possible de contrôler.

Actuellement réparties dans presque autant de domaines qu'il y a d'individus, les connaissances humaines ne sont plus préhensibles par un seul. Non pas seulement parce que leur nombre est devenu trop important et augmentent donc cette somme d'expériences, mais parce que cette espèce de magma, de matière culturelle se complexifie et que le nature de l'organisation sociale, des contraintes de l'accumulation progressive de savoirs professionnels de plus en plus ciblés fait que l'humanisme parait à tord ne plus être de mise. Quel est l'homme qui au milieu d'une foule d'hyper-specialistes, finalement condamnés à l'hyper productivité, à des langages étrangers les uns envers les autres, d'unidimentionnels forgés comme on moule des clefs afin qu'elles n'ouvrent qu'une serrure et une seule.

Pourtant le Renouveau porte en lui en germes les possibilités d'une redistribution des activités humaines et d'une refonte des mentalités qui s'y sont petit à petit associés. Le changement des systèmes de référence, l'image supplantant petit à petit l'écrit, parce que plus convainquante et moins abstraite, elle parait plus directement accessible. Elle joue de sa séduction. Je crois ce que je vois. Je vois donc je crois est plus qu'une philosophie, c'est une habitude mentale, un tic...Le reste est ignoré ou oublié. La mémoire des événements se disloque. On vit rapidement.  On a plus une idée de la réussite mais une image du bonheur. Façon pub. Tout, tout de suite. Pour rien. Une effigie matérialiste plaquée entre les yeux.

Le besoin de spiritualité qui se réveille l'exprime.Il y a un phénomène d'écœurement. Le désir de sacré est plus qu'un simple exutoire, c'est parfois une quasi volonté d'expiation. Et tout ceci a un rapport avec ce que nous ferons, c'est à dire des images puisque nous proposerons une lecture de la fourmillière jusque dans notre rejet d'elle si c'est un rejet que nos messages détournés expriment. Jusque dans le choix d'un contraire. C'est à dire d'une projection. D'un regard qui révèle plus qu'il n'est révélé.



Ecrire était le domaine d'une possible mystification, comme pouvait l'être la parole. D'où une certaine méfiance à l'égard des discours et des écrits dont l'apogée se situe dans la seconde moitié du 19ème siècle et la première moitié du notre. Ce n'est pas un hasard si c'est aussi l'époque de la plus grande activité critique, du triomphe parallèle es idéologies, du nazisme basé sur la propagande, de Freud et de la révolution soviétique. L'esprit n'a pas encore entériné la facile transformation des images et fonctionne encore dans la majorité des cas avec  ses anciens schémas d'analyse.

Les comportements vis-à-vis du visuel vont changer.

La manière de prendre en compte la réalité va elle aussi se transformer et s'adapter aux conditions nouvelles qui lui sont faites. En particulier du fait de l'évolution des moyens technologiques. Pouvoir se servir d'un caméscope et de visionner l'image instantanément et de l'envoyer par réseau interposé à des milliers de kilomètres de là est quelque chose qui tient du miracle. L'homme s'approprie le réel. Il le domestique et le met en réserve, en boites de conserve.... A portée de la main, et immédiatement accessible. Ce n'est plus seulement un scientifique. Il joue de la magie et comme tout ce qu'il traite est de l'ordre d'un humain partie intégrante du tout, il se fait également sorcier.

Nous abordons le sujet de cette thèse. L'homme doit implicitement déléguer une partie de ses prérogatives à des techniciens censés mettre en forme les instruments qui serviront à décrire le réel et à le comprendre. Dieu merci on ne triture pas de l'humain comme on croise entre elles des souches légumineuses, ou un bloc de terre glaise auquel on donnerait la forme que l'on souhaite, même si les chercheurs en sont presque à modifier le génome humain, c'est à dire l'ensemble des chromosomes qui déterminent un individu (le programme absolu qui produit des messieurs Smith ou des messieurs Jones).

On ne crée pas des être humains à la carte.

C'est bien au niveau des apparences qu'il est le plus facile de modifier les choses. C'est à dire les faire avancer. Les retours ne sont pas les mêmes. Les lois ne sont pas les mêmes et la physique pure  perd une part de ses valeurs face à une espèce d'indétermination générale des signes qui rendent toutes choses sur l'écran possibles. La seule limite qui reconnue étant l'imagination de celui qui programme la machine, ou les systèmes évoluant de la diriger. Il est fondamental de garder une fibre humaniste absolue, et le respect d'autrui, malgré l'immense liberté que l'on gagne à créer les formes nouvelles à l'aune de sa sensibilité.

Devant  une perte de repères concrets qui ne permettrait plus l'intégration de l'individu dans son environnement physique, c'est à dire, par le même biais, sa distanciation par rapport au monde et donc l'affirmation de l'individualité de son esprit. Projeté dans l'indétermination de son environnement, il lui faudra établir de nouveaux schémas, stabilisateurs de sa conscience. L'homme a besoin de sacré mais il a encore plus besoin de sa consistance corporelle. Penser est un exercice physique ! Du moins c'est dans cet ordre de représentation qu'il se situe et établit son caractère autour de la pratique d'une activité créative. Il faudra donc recréer une éthique pour éviter la progressive profanation de son corps par la lente affirmation des fonctions cérébrales agissant sur ce corps. On aime plus avec son cœur, parait-il, mais avec son cerveau labial. L'amour lui même serait censé se dénaturer pour ne devenir à priori qu'une sensation intellectuelle et esthétique ce qui est évidemment faux. Dozo, la superbe rock star synthétique de Waldeck et Stanzak qui chante "I don't want to be touched by your love" n'aurait certainement pas choisi "Let's get physical'' ou "I have the touch". Juste "Change my mind" à la rigueur, si elle avait choisi, of course...



Quel dialogue l'espèce issue des représentations abstraites de l'ordinateur permettra t-elle ? Cela ne privera personne de la possibilité de développer une philosophie volontariste de la vie face à la modification des conditions de nos vies et ce, malgré ou grâce aux injonctions ambiantes. C'est une nécessité : savoir évoluer et s'adapter. Or, nous sommes censés orienter collectivement cette progressive irruption dans nos vies de formes de vie intermédiaires. C'est une chance et le travail d'une génération. Nous avons mis à jour un chaînon manquant de l'évolution et inventé des outils révolutionnaires dont nous verrons qu'ils correspondent en grande partie aux besoins de l'ère nouvelle qui s'ouvre. De ces être issus d'une forme nouvelle de reproduction humaine qu'y a t-il a attendre ? Des raisons largement majoritaires de se réjouir parce que mis en présence des formes éminemment multiples du futur que nous sommes en train de créer. Nous nous donnons de l'espace et du temps, de nouvelles chances grâce à la diversité d'un champs de possibles renouvelés dont l'économie, mais aussi et la création, notamment sauront faire un usage résolument moderne...

Bristol Polytechnics, Avon, Angleterre. 1992