Le meilleur ami de l'homme après la mitrailleuse lourde
 
Le meilleur ami de l'homme après la mitrailleuse lourde

On quitte la nébuleuse aromatisée du pays d'accueil. Tombées une à une, les gouttes ont fini par recouvrir chacune des pierres restées au sol des pays limitrophes. Et les bombes tombées elles aussi une à une sont venues les projeter en l'air. Elles sont venues soulever et remuer les rancœurs. Tout ce qui se stabilise si difficilement. Par l'amour des femmes et par le temps. Rarement par l'intelligence et l'esprit chevaleresque. On délègue à la poussée marémotrice le soin de faire tourner les turbines. Et ça bouge en mer, ça bouge au sol, c'est cette même force qui mélange tout, ce même besoin de faire plier ce qui résiste. Et ce qui résiste, c'est la croyance qu'il est possible de faire mieux. Qu'il est possible de faire plus réussi et plus rapide, plus précis ou plus éloigné. Bref, d'évoluer, de presque muter. Mais les convictions sont parfois volatiles, et les credo se transforment. Quand les méchants trouvent plus forts qu'eux, la sympathie viscérale qu'ont ceux qui sont à l'abri change de camp. Elle suit les pentes du manque de mémoire. Elle paresse et faute d'examen plus poussé, elle se fixe n'importe où.

Il n'y a pas de pensée qui ne soit pas dérangeante quand des hommes meurent.

Sans que subsiste une réelle base de repli, on est face à soi, face aux autres. Sans que rien ne puisse vous enlever cette intuition. L'impression de ce qui déconne, très envahissante si vous ne trouvez pas un moyen de la résoudre. Je verrai vos traits tirés, penchés sur des berceaux couverts de dentelle rêche. Dans le gâchis comme dans la résolution des problèmes, le génie donne la mesure de ses possibilités. Pauvre boussole qu'on balance.

Je verrai ce qu'il est possible d'imaginer et de faire et je pourrai enfin rêver de liberté même codée, même livrée au hasard, à la déchirure des manteaux qu'on accroche. Elle pourra aussi laisser tomber cette pluie qui masque vos larmes, qui dilue sur vos joues les traces de sel. Je verrai un bébé d'un jour et j'essayerai de faire en sorte qu'il devienne ce qu'il devrait être. Dans une vision que n'auront jamais les caméras et tout ce qui manque d'imagination. L'harmonie recréée que ne connaîtront jamais ceux qui ne croient que ce qu'ils voient. Ceux qui n'avancent pas et qui ne reculent pas. Qui suivent le rythme lent de la mécanique terrestre et de ses rotations régulières dans une immobilité qui aux yeux des autres a l'air d'un mouvement. Ceux qui s'en remettent à ce que l'univers leur fournira toujours et qui auront toujours des raisons de ne pas se poser les trois ou quatre questions qui obligent à tout changer, qui font obligatoirement avancer. Qui font encore bouger, tout faire pour ne pas accepter la médiocrité, la lente dépossession de ses moyens. Ils voudraient toujours remettre en avant la vertu cyclique des bains trop tièdes. Ils boivent de cette eau qui engourdit. On remue des lèvres, on retranche des couleurs, on ne voit pas double et c'est dommage, parce qu'on oublie qu'on voit. On a cette force et on oublie qu'on a cette force et, même si pas de raison d'en être particulièrement fier, il y a une obligation de politesse, une politesse obligatoire, quand ce qu'on reçoit du hasard est à ce point injuste ou inégal. C'est de traverser un jour cette fausse évidence, nier la localisation trop évidente des sentiments et forcer la générosité que donne l'abondance.

Que cette richesse qui n'a rien a voir avec l'argent ne soit jamais tarie, qu'elle se  renouvelle et coule toujours en toi, Mon Amour, à faire autrement ce qui doit normalement se faire comme ça s'est toujours fait. Ces gestes rechargent. Ils nous libèrent, et ils libéreront les autres de cette logique d'emprisonnement.


(La suite sera prochainement disponible en librairie.)