Hello, My Name is God
 
Hello, My Name is God

Le ciel vire au rouge. Vague sensation d'inquiétude chez les autorités en charge du dossier. On transpire discrètement en se demandant s'il faut appeler Paris, si on connaît le numéro de la maîtresse du préfet, et si la sélection sportive est sur la côte est, ou à Maurice. Au-dessus des montagnes, on aperçoit les lueurs de La Fournaise, comme en tous points de l'île. C'est très clair, il va y avoir un maximum d'épanchement basaltique. Très à l'aise, le volcan affiche calmement ses intentions...

Je vais vous raser une petite dizaine de villages plus les quelques milliers d'hectares qui sont autour...

Il fait nuit. Le spectacle risque de décevoir les sceptiques et d’être grandiose. On déclenche le plan de désoccupation des sols. Tout le monde fuit, sauf les animaux qui restent coincés dans leurs parcs en attendant d'être carbonisés, mais c'est que de la volaille, après tout. C'est fait pour. La terre, fidèle à sa réputation, vomit déjà ses tripes dans la mer. Froidement. Les poissons explosent comme des calebasses avec un gros "blob" sinistre. Ebouillantés, les yeux blanchis, la bouche ouverte, phosphorescents dans l'eau noire, ils sont à point pour les restaurants du coin. L'enthousiasme populaire est indescriptible. Des milliers de voitures convergent vers les lieux du drame. On se bat, presque, pour avoir une place au premier rang et repartir avec son cendrier moulé à l'aide d'une branche trempée dans une scorie incandescente. La chaleur est terrible. 1400° au bord du fleuve de lave qui avance à une vitesse inhabituelle. Un photographe chinois qui, bien imprudemment, s'était approché du battant des lames, repart sur une civière, bouilli comme une langouste. Bien fait pour sa gueule. Il n'avait qu'à se carrer le manuel du terrien comme tout le monde. En route pour Lyon, sa rosette, et ses grands brûlés.

La foule suit des yeux l'hélicoptère qui l'évacue, avec une certaine jalousie.

Elle comprend vaguement que quelque chose cloche. Les cierges n'ont eu aucun effet. Même la vierge au parasol qui garde l'enclos, et protège les habitants, est rapidement délocalisée pour échapper à la coulée qui fonce sur elle. Elle a l'air stoïque entre les mains de ses sauveteurs.

Mais la folie des hommes ne permet pas ce genre de choses.

Elle est loin de pouvoir rester indifférente. Il y a longtemps qu'elle murmure des réponses que personne n'entend, des réponses que personne ne comprend plus. Si on savait décrypter les messages qu'elle adresse aux hommes, on l'entendrait dire qu'elle ne supporte plus leurs pouvoirs exorbitants, leur manière de détruire tout ce qu'ils touchent, leurs vieilles bouches sentencieuses appliquées à des jeux de lois, à des poursuites pénales, à des dénonciations, au mécanisme ordinaire de la cruauté et de la haine salivaire qui se détache progressivement de ses fondements.

Les mêmes frissons, les mêmes incompréhensions glacées.

Elle sacrifie ses enfants par absence d'imagination pour elle-même. C'est ce qu'elle fait. C'est ce qu'elle a déjà fait. C'est ce qu'elle prépare, d'où que vienne la bêtise et l'esprit ramifié aux forces du sol. Le chant des armes ne la concerne pas, comme les portes qui claquent, comme l'odeur du métal chauffé à blanc, comme les ordres aux délégations et assignations à mourir, mais elle observe derrière une mantille grillagée leur comédie idiote. Elle vomit souvent.

Elle voudrait que tous les hommes soient des femmes.

Elle aimerait que quelque chose leur vienne d'elles. S'en prendre à la chair saine de la vie finira par leur porter malheur. Mais il ne faut pas dire ces choses là. Ce sont des évidences qui courent le monde depuis qu'il existe. Mais elles n'ont toujours pas été intégrées par ceux qui sont chargés de les comprendre. L'architecture du cosmos a bougé. Quelque chose de fondamental s'est définitivement transformé dans l'ordonnancement du monde. Mais parler d'une chose absente ne la rend pas forcément visible aux yeux de ceux qui sont censés la voir. Parler de la transparence, de l'air, du temps, de l'eau qui coule, indécelable, à l'intérieur de ses réseaux ramifiés, ne suffit pas. Alors que l'avion décolle, des milliers de fusées montent dans la nuit. Bientôt, sous la carlingue, l'archipel des Comores, Anjouan, et Dzaoudzi, passent le long d'une ligne.

Je sais que cet avion ne mène nulle part si je ne le détourne pas d'une manière ou d'une autre. Ce n'est pas un avion comme les autres. Je suis presque seul à bord. En direction d'un aéroport où le seul espoir consiste à sauter dans un autre avion. Opération magique, hautement improbable. Il n'y a qu'une serrure dans cette configuration de la vie. Moi qui arrive avec mes milliards de clefs, je transporte des bagages qu'il faudra absolument transférer. Le convoi a voyagé toute la nuit.

Je suis épuisé.

Dans la salle d'arrivée, le temps s'accélère brutalement. Il y a parterre un petit carré de velours bleu qui ressemble à une chéchia. C'est une sorte de béret, une sorte de chapeau, et dedans une carte d'accès à bord dépasse. Je comprends tout à coup que c'est un signe. Clair, évident. Une fonction à l'arrivée qui s'ouvre tout à coup comme la Mer Rouge dans un péplum. Ne pas réfléchir. J'ai juste le temps de le ramasser et d'atteindre un autre comptoir d'embarquement. Le sang bat contre mes tempes et dans ma gorge.

L'oxygène à un goût de fer. Comme si l'intérieur de mon corps était aspiré par la terre et auréolé de lumière.

Je sais maintenant quelque chose d'essentiel. Un signe fort, indiscutable, est venu à moi comme une main géante au moment où je me noyais. Je préfère lire dans ce retournement des ponts et des fleuves qui viennent à moi, les paroles à prononcer. Les phrases sur lesquelles s'échangeront les visions du monde à venir. Je sais que c'est la fonction de la vie. Apprise et reçue dans le risque. Les mots qui s'enchaînent dans un babil de gosse mal élevé. Le problème trop lourd des bagages soudain s'est évaporé. Mon corps me brûle à présent. Tellement de marques déposées sont enfermées en moi. Dans l'avion, des visages se recomposent doucement autour de moi, mais ils n'ont, pour l'instant, pas d'importance. Je sais que je fais partie du cortège au même titre que ceux qui ont eu la chance d'être acceptés, et que leur présence me donne des raisons d'espérer.

Je vais me battre...

Quelque chose d'unique commence... Quelque chose qui a un rapport avec la violence primale du brasier dont je viens. L'avion roule doucement jusqu'au bout du tarmak et pivote soudain, en poussant ses réacteurs à fond dans un hurlement strident.

Feu !

Un Retournement du Monde

(La suite sera prochainement disponible en librairie.)